Lettre de l’Ambassadeur aux amis polonais (juillet 2015) [pl]

L’Ambassadeur de France en Pologne, M. Pierre Buhler, adresse de façon régulière une Lettre aux amis de la France en Pologne pour les tenir informés au quotidien des points importants marquant la relation de nos deux pays. Elle est sortie à l’occasion du 14 juillet, jour de la Fête Nationale en France. Pour cette occasion exceptionnelle, la traditionnelle Lettre de l’Ambassadeur aux amis polonais est insérée cette fois dans un document dont elle constitue le texte de couverture. Il s’agit d’un numéro spécial, en format pdf, de la revue WszystkoCoNajwazniejsze.pl, numéro consacré à la France et aux relations entre la France et la Pologne. Pour les lecteurs comprenant le polonais, il y a des trésors à découvrir en cliquant sur http://wszystkoconajwazniejsze.pl/magazyn-wszystko-co-najwazniejsze-nr-32015/, où de nombreux textes dans cette langue parlent de la France.

Chers amis polonais

Ce 14 juillet, nous fêterons la prise de la Bastille, symbole d’une aspiration irrépressible à la liberté et à la démocratie, une aspiration qui a embrasé l’Europe. Sa résonance en Pologne a été le fondement de la première constitution proclamée sur le continent européen, le 3 mai 1791, et de votre République. Elle a guidé les pas de ces figures magnifiques qui ont refusé l’asservissement, les Kosciuszko, Dabrowski, Poniatowski, et qui ont trouvé la France à leurs côtés, et si souvent combattu avec elle contre l’oppression.

Certes des Françaises, Marie-Louise Gonzague et Marie-Casimir, ont été reines de Pologne, une Polonaise, Maria Leszczynska, fut reine de France, mais ce qui plus que tout a fondé ce rapport singulier entre nos deux nations, c’est l’idée de liberté, puissamment exprimée par cet beau mot d’ordre qui fut le vôtre, « pour votre liberté et la nôtre ». Elle a nous accompagnés dans nos histoires entremêlées, lorsque la France ouvrait ses bras à ceux qui refusaient le sort d’une Pologne démembrée et occupée par des puissances étrangères, les Mickiewicz, Chopin, Norwid.

Nul mieux que Victor Hugo n’a exprimé ce sentiment lorsqu’en 1846, alors que la Pologne avait disparu de la carte politique de l’Europe, au lendemain de l’insurrection de Galicie, devant la Chambre des Pairs, il s’exclama : « Deux nations entre toutes, depuis quatre siècles, ont joué dans la civilisation européenne un rôle désintéressé (…) La France dissipait les ténèbres, la Pologne repoussait la barbarie ; la France répandait les idées, la Pologne couvrait la frontière. Le peuple français a été le missionnaire de la civilisation en Europe ; le peuple polonais en a été le chevalier (…) Nos deux nations aujourd’hui doivent s’entendre, doivent avoir l’une pour l’autre cette sympathie profonde de deux sœurs qui ont lutté ensemble ».

Ces mots ont continué de résonner tout au long de notre histoire partagée. Nul n’a davantage que la France œuvré, au lendemain de la Première Guerre mondiale, pour restaurer un Etat polonais fort et viable. Face à l’agression nazie, nos soldats ont combattu côte à côte, que ce soit au cours de la bataille de France, en 1940, à Monte Cassino, ou encore dans les combats pour la libération de l’Europe, où les soldats polonais se sont, comme à Mont-Ormel (Maczuga), couverts de gloire. Le sang versé n’aura pas suffi cependant à apporter la flamme de la liberté jusqu’à Varsovie.

Qu’il me soit permis de rappeler, à ce propos, que la France n’a pris part à aucune des grandes conférences internationales où s’est joué le sort de la Pologne – et ses frontières –, qu’il s’agisse de celles de Téhéran, en 1943, de Yalta ou de Potsdam, en 1945. Reçu par Staline en décembre 1944, le chef du gouvernement provisoire français, le général de Gaulle, avait refusé le marché que lui proposait son hôte, reconnaître le gouvernement de Lublin en contrepartie de la conclusion d’un traité franco-soviétique. C’est encore de Gaulle, si attaché à votre pays, qui avait, par sa célèbre formule – « Polonais, Français, nous nous ressemblons tant et tant ! » – voulu, à Varsovie en 1967, souligner cette commune et ardente passion pour la liberté, l’indépendance, la souveraineté.

Et lorsque, dans le long et inlassable combat qui fut le vôtre pour recouvrer votre liberté et votre souveraineté, l’oppression s’est abattue sur vous en cette nuit funeste du 13 décembre 1981, le peuple français s’est aussitôt, spontanément et massivement, mobilisé pour vous exprimer son soutien, d’abord par des manifestations, ensuite par des envois d’aide humanitaire et de matériel d’imprimerie. La France encore était à vos côtés, lorsque, dans le sillage des premières élections libres, vous avez fait le choix, judicieux, de la décentralisation, avec nos responsables locaux, fiers de vous faire partager leur expérience.

Enfin, après que la lame de fond née en Pologne a atteint l’Allemagne de l’est, et à mesure que se précisait la perspective de la réunification de l’Allemagne, c’est nul autre le Président François Mitterrand, un homme pétri du sens de l’histoire, qui a convaincu le chancelier Kohl qu’il ne pouvait y avoir d’alternative à l’intangibilité de la frontière sur l’Oder et la Neisse.

Un quart de siècle plus tard, la France et la Pologne se retrouvent côte à côte dans la construction européenne. Nous avons ainsi joint nos forces pour obtenir, en 2013, le meilleur budget pluriannuel possible de l’Union. Nous la faisons avancer, de concert avec l’Allemagne, au sein du Triangle de Weimar, pour nous doter d’un outil plus efficace de sécurité et de défense.

Prenant ses responsabilités, la France a pris toute sa part des mesures de réassurance au bénéfice des alliés du flanc oriental de l’OTAN, suite à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie. L’exercice franco-polono-américain PUMA 15 vient ainsi de s’achever à Drawsko Pomorskie, avec un contingent blindé de quelques 300 militaires. Deux bateaux français ont pris part récemment à l’exercice allié BALTOPS. Mais il y eu en 2014 la participation, depuis la base de Malbork, des chasseurs Rafale à les opérations de police du ciel, et en 2013 une participation massive de la France à l’exercice Steadfast Jazz.

Je ne mentionnerai que pour mémoire la décision du Président de la République de ne pas livrer à la Russie les deux Mistral qu’elle avait commandés, motif pris de la situation en Ukraine orientale. La Pologne avait appelé de ses vœux une telle mesure. Je remercie ceux des responsables polonais qui ont salué ce geste, lourd de conséquences financières pour notre pays.

La situation de sécurité autour de l’Europe, que ce soit à l’est ou au sud, appelle de notre part une attention soutenue et une approche réfléchie, tant dans le cadre allié qu’au sein de l’Union européenne. Au-delà des enjeux immédiats, le Conseil européen des 25-26 juin a défini les moyens de renforcer l’industrie européenne de la défense, en appelant notamment au financement de la recherche en ce domaine par le budget de l’UE.

C’est là certainement une des pistes les plus prometteuses pour nos deux pays, attentifs aux exigences de la défense et soucieux de préserver une industrie nationale d’armement de pointe dans un marché mondial hautement compétitif. Nous savons, en France, qu’un tel objectif n’est réalisable que dans le partenariat – avec le petit nombre de pays européens qui disposent d’une telle industrie. La Pologne est l’un d’eux et c’est pourquoi je me réjouis du choix de l’hélicoptère Caracal d’Airbus, en formant le vœu qu’il consacre l’arrimage de votre pays au « noyau dur » de l’Europe de la construction aéronautique dont cette entreprise est la meilleure incarnation.
Car beaucoup d’autres aventures technologiques et industrielles sont possibles entre nous, qu’il s’agisse des sous-marins d’attaque ou de l’industrie spatiale. Celle-ci a d’ailleurs une double vocation, militaire, mais aussi civile. Je ne voudrais pas, en effet, laisser mes lecteurs sur l’impression que notre relation est principalement portée par une dimension de défense et de sécurité : l’énergie nucléaire, la grande vitesse ferroviaire, les « objets connectés » ou encore les technologies vertes et du développement durable des villes sont autant de terrains possibles d’entente et d’action.

Sur le plan culturel, nous avons retrouvé une intensité appréciable de relations. La France était cette année l’invitée d’honneur au Salon du Livre de Varsovie, et je sais gré aux quelque 72 000 visiteurs qui s’y sont rendus – 16 % de plus qu’en 2014. Les grilles du Parc Łazienki ont accueilli une exposition de photos consacrée au patrimoine des villes d’art et d’histoire (19/05-7/06), qui sera présentée à Cracovie (14/07-30/09) avant de continuer son parcours en Pologne. Toujours à Cracovie, Christian Boltanski, artiste français de réputation mondiale, rend hommage, à la Cricothèque depuis le 5 juillet, à Tadeusz Kantor, à l’occasion du 100-ème anniversaire de sa naissance.

C’est cependant à l’automne que Varsovie s’enflammera véritablement, avec l’exposition « Napoléon 1er ou la légende des arts » (11/09-13/12). Le Palais de Compiègne et le Château royal de Varsovie se sont en effet associés pour proposer un regard nouveau sur l’Empire et montrer l’originalité, la richesse et la modernité de cette époque. Enfin, j’ai plaisir à vous annoncer une opération baptisée French Touch, début octobre, dont la chanteuse française Zaz sera la vedette.

Pierre Buhler
Ambassadeur de France en Pologne

Dernière modification : 01/09/2015

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